Matthew B Crawford: le philosophe-mécanicien qui pense le monde du travail

Matthew B Crawford: le philosophe-mécanicien qui pense le monde du travail

Publié le 17 juillet 2017

Matthew B Crawford est écrivain philosophe, mais il est aussi réparateur de moto. Dans ses œuvres Éloge du carburateur et Contact, l’auteur américain fournit une réflexion sur le sens du travail et réfléchit au rôle de cette activité dans nos sociétés.

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Il animait un Think Tank mais il a préféré réparer des motos. Matthew B Crawford a arrêté sa carrière d’universitaire lorsqu’il a rencontré des difficultés pour obtenir un poste de docteur en philosophie. Ce périple n’est pas la seule cause de son changement de voie : l’écrivain n’était pas à l’aise quand il animait son cercle de réflexion, il lui « manquait quelque chose ». Il avait besoin de moins de manipulation intellectuelle et de plus de travail manuel. Travailler avec des machines lui paraissait plus simple: « Quand on est au contact de motos, il y’a deux possibilités : soit l’engin démarre et c’est bon ; soit il ne démarre pas et il faut réparer. C’est tout. », explique-t-il sur le plateau de France Culture.

« Ce n’est parce qu’on a les mains dans le cambouis, qu’on ne réfléchit pas ! »

Dans Éloge du carburateur, Matthew B Crawford analyse sa propre expérience. Pour lui, les personnes qui travaillent sur des machines sont très engagées intellectuellement, contrairement à ce que l’on pense: « Ce n’est parce qu’on a les mains dans le cambouis, qu’on ne réfléchit pas ! […]Quand on m’amène une moto qui vient de tomber en panne, je dois diagnostiquer le problème et trouver des solutions. Je dois donc réfléchir ». À travers ses écrits, le philosophe américain veut montrer que le travail manuel est tout aussi exaltant que le travail dit intellectuel.
Mais Matthew B Crawford va plus loin. Il appréhende la société dans sa globalité et il est persuadé que le malaise qui s’y installe est en partie dû à l’état du monde du travail. La société dénigre certains statuts notamment celui de l’ouvrier ou de l’employé de bureau. Selon lui, la cause de ces fléaux serait la distance existante entre l’effort fourni par les travailleurs, la matière et le résultat final. Sans doute cette recherche de contact avec la matière expliquerait-elle les escapades du philosophe dans les sous-sols des immeubles de Hyde Park pour démonter des motos alors qu’il était encore en poste ? Quoi qu’il en soit, pour Matthew B Crawford, le sens du travail se perd.

« Les travailleurs ne savent plus pour qui, ni pourquoi ils travaillent »

La philosophe et sociologue Dominique Méda fait une analyse critique de l’oeuvre de Matthew Crawford et arrive aux mêmes conclusions : « Les logiques qui se sont interposées entre le réel et les travailleurs, notamment les objectifs intermédiaires inventés par les managers, devenus pour eux objectifs finaux, ont créé un niveau de réalité qui rend l’exercice du travail insensé au sens propre du terme. L’utilité du produit final et sa qualité sont perdues de vue, les travailleurs ne savent plus pour qui ni pourquoi ils travaillent, dès lors, le travail n’a plus de direction, plus de sens », explique-t-elle dans sa note critique.
Elle souligne, par ailleurs, la proximité de la thèse de Matthew Crawford avec celle de Marx et Friedmann. Eux aussi décrivent l’impact du capitalisme sur la manière de travailler. Mais pour Dominique Méda, le philosophe américain va plus loin: il explique que l’organisation du travail dans les sociétés modernes alimente la perte de sens du travail en s’interposant entre l’activité du salarié et le résultat final de son travail. De facto, « cela réduit à néant pour les travailleurs tout espoir d’être à l’origine d’une action véritable », explique Dominique Méda.

« L’existence d’artisan indépendant […]m’offrait au contraire une image de liberté que je ressassais avec nostalgie »

Mais pour Matthew Crawford tout n’est pas perdu.  Le philosophe-mécanicien souligne, tout d’abord, la perte de sens du travail salarié et la fausseté voire l’asservissement lié au travail pseudo-intellectuel : « Il s’agissait en fait de donner un vernis de scientificité à des arguments profanes qui reflétaient divers intérêts idéologiques et matériels. Ainsi, quand j’étais philosophe, à propos du réchauffement planétaire, je devais m’arranger pour mettre en scène des thèses compatibles avec les positions des compagnies pétrolières qui finançaient la fondation »; néanmoins, il ne bannit pas toutes les formes de travail. Le travail manuel relève le niveau et semble prometteur: « […] contemplée depuis mon quartier des consultants à Washington, l’existence d’artisan indépendant que menait Fred m’offrait au contraire une image de liberté que je ressassais avec nostalgie », écrit-il dans Éloge du carburateur.
Enfin, le philosophe livre sa définition du travail. Selon lui, le travail doit réaliser l’individualité du travailleur, lui faire contempler la matière et lui donner l’opportunité de progresser dans l’excellence. Le salarié doit prendre du plaisir. Et prendre du plaisir, c’est « s’engager à fond dans une activité: cette forme d’absorption repose sur une attention aiguë et opiniâtre à l’égard de ce qui rend ladite activité bonne ou digne d’être poursuivie », déclare Matthew B Crawford dans Éloge du carburateur.

Khadija Adda-Rezig

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