Rupture conventionnelle, le nouvel eldorado des jeunes

Rupture conventionnelle, le nouvel eldorado des jeunes

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437 000 ruptures à l’amiable enregistrées en 2018 dont un tiers rien que pour les moins de 30 ans… C’est tout simplement un record. Mais pourquoi les jeunes se bousculent-ils pour prendre cette porte de sortie ? Réponse avec Émilie Million-Rousseau, avocate » en droit du travail au sein du cabinet Racine.

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Depuis dix ans, il y a une solution pour ceux qui ne sont plus heureux au travail : la rupture conventionnelle. Cette séparation à l’amiable connaît aujourd’hui un succès fulgurant. En un an, elle a grimpé de près de 4 % pour atteindre 437 000 signataires. À l’origine de cette accélération, on trouve les moins de 30 ans. Les jeunes représentent en effet un quart du contingent, alors qu’ils ne sont que 16 % à occuper un CDI.

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Emilie Million-Rousseau, avocate au Cabinet Racine, nous parle de la rupture conventionnelle chez les jeunes

Comment expliquez-vous cet engouement extraordinaire des jeunes pour la rupture conventionnelle ?

Émilie Million-Rousseau : De nombreux facteurs peuvent expliquer cette appétence. Tout d’abord, il faut savoir que cette génération est toujours à la recherche d’un équilibre fragile entre bien gagner sa vie et préserver son temps de vie personnel, tout en ayant une liberté de création et de mouvement. À la vue des chiffres, on peut penser que cet équilibre parfait est difficile à trouver et que cette génération préfère partir lorsqu’elle ne trouve pas le bonheur. Autre explication (la plus évidente) : la jeunesse. Avoir moins de 30 ans, c’est avoir moins de responsabilités, plus de libertés et plus de chances de trouver un autre emploi. C’est aussi une des raisons qui explique que les vingtenaires occupent un quart des ruptures conventionnelles en 2018.

Depuis combien de temps observe-t-on cet enthousiasme pour ce type de rupture ?

EMR : Tout simplement depuis sa création, il y a dix ans, en juin 2008. La rupture conventionnelle est alors lancée pour flexibiliser le marché du travail. Avant son arrivée, il existait bien une rupture à l’amiable, mais sans aucun droit au chômage. Elle était du coup très peu utilisée. La rupture conventionnelle telle qu’on la connaît aujourd’hui, est venue stabiliser une situation bancale qui poussait parfois les salariés à l’abandon de poste, en accord avec leur entreprise, pour se faire licencier et avoir droit aux aides sociales.

Combien de temps a-t-il fallu pour que les collaborateurs adoptent cette rupture ?

EMR : Les entreprises comme les salariés s’en sont emparée tout de suite. Dès 2009, on a observé une explosion de son utilisation. Je pense que l’État a réussi à trouver la bonne recette, avec une procédure d’homologation plutôt simple et la garantie du versement d’une indemnité minimale pour le salarié.

Bémol, cette méthode peut pousser à quitter son poste pour bénéficier des allocations-chômage…

EMR : Toute la difficulté est là. Le problème d’une rupture conventionnelle, c’est qu’elle peut finir par remplacer la démission, mais avec des allocations assumées par la solidarité nationale. Mais, selon mon expérience, cela ne représente pas une proportion importante des cas. En tout état de cause, si un salarié veut partir, il partira quoiqu’il arrive. La rupture conventionnelle permet simplement de le faire avec une sécurité accrue et d’éviter les situations délétères d’abandons de postes qui imposaient aux entreprises de notifier des licenciements pour faute grave.

On a vu les avantages pour les salariés, mais qu’en est-il pour les entreprises ?

EMR : Ce dispositif est aussi un avantage pour les sociétés ! Se séparer d’un élément qui, selon un constat partagé avec le salarié, ne se sent plus à sa place dans l’entreprise, c’est toujours mieux. Cela permet aussi de booster les compétences de la société qui gagne par la même occasion en flexibilité. Un salarié qui ne veut plus travailler, c’est délétère et le conserver dans l’entreprise contre son gré est néfaste. Autre avantage : la conclusion d’une rupture conventionnelle supprime quasiment tout risque de contentieux prud’homal sur la question de la rupture du contrat de travail et apporte donc une sécurité juridique réelle.

Pourtant, certaines entreprises rechignent encore à l’accorder à leurs salariés…

EMR : Cela dépend des chefs d’entreprise. Certains, par principe, refusent et renvoient les salariés qui souhaitent partir à leur responsabilité en leur indiquant qu’ils ont la possibilité de démissionner et qu’il n’appartient pas à l’entreprise d’assumer le coût financier de leur démission. Il est vrai que la rupture conventionnelle a un coup pour l’entreprise en raison d’un versement obligatoire de l’indemnité spéciale d’un quart de mois de salaire brut par année d’ancienneté.

Comment voyez-vous l’évolution du marché du travail dans les dix prochaines années ?

EMR : Nous allons vers toujours plus de souplesse. Quarante ans derrière le même bureau, c’est fini. Aujourd’hui, on exerce quatre ou cinq métiers dans autant de différentes entreprises sur cette période. Cette flexibilité risque de continuer d’accroître le nombre de ruptures conventionnelles. Pour les générations à venir, tout porte à croire que ce modèle va se confirmer.

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