« La crise du Covid a mis en lumière notre dépendance à la production asiatique » Olivier Sichel, directeur de la Banque des Territoires.

« La crise du Covid a mis en lumière notre dépendance à la production asiatique » Olivier Sichel, directeur de la Banque des Territoires.

Publié le 4 juin 2020

Olivier Sichel, directeur de la banque des territoires

Pour Olivier Sichel, la relance de l’économie locale doit rimer avec transformation digitale et développement durable. Dans cet entretien accordé à Widoobiz, Le directeur de la Banque des Territoires évoque, entre autres, les plans de soutien mis en place par l’institution, la réindustrialisation du pays et sa vision « du monde d’après ».

 

Quel est concrètement le rôle de la Banque des Territoires dans cette crise ?

 Nous sommes la banque des collectivités locales, de la sécurité sociale ou encore des professions juridiques. Au début de la crise, nous nous sommes d’abord chargés d’alimenter la trésorerie de la sécurité sociale d’un montant équivalent à 20 milliards.  Nous nous sommes ensuite occupés des clients qui étaient les plus en difficulté comme les professions juridiques. On n’en avons pas beaucoup parlé mais il s’agit quand même de dizaines de milliers d’emplois. Nous avons ainsi mis en place un plan de soutien qui leur a permis de suspendre leurs échéances ou d’augmenter leur autorisation de découvert, afin qu’ils puissent tenir durant cette crise.

 

Quel soutien pour les TPE qui passent entre les mailles du filet du prêt garanti par l’Etat ?

 L’urgence était de maintenir l’offre dans les collectivités locales et être sûrs que les gens qui n’avaient plus aucuns revenus puissent survivre. Pour les structures qui n’étaient pas éligibles au prêt garanti par l’Etat, comme la pizzeria de quartier, le manège du village ou encore les structures associatives, nous avons mis en place avec les collectivités locales et les régions des mécanismes de prêt remboursables variant de 5000 à 10 000 euros. Des fonds que les bénéficiaires ont pu percevoir très rapidement. Les différés de prêts sont d’ailleurs assez longs pour que la structure puisse se remettre à flot et soit en capacité de rembourser.

Pour les structures plus importantes, nous avons commencé à travailler à des plans de relance avec BPI France. Le premier, qui concerne les entreprises du tourisme, a été communiqué de cela deux semaines.

 

Vous avez notamment parlé de renforcement en fonds propres à travers des obligations convertibles pour redonner du tonus au bilan. Comment cela va-t-il se dérouler concrètement ?

Les obligations convertibles font partie des outils que va mettre en place BPI France pour les entrepreneurs. Ce sont des capitaux longs qui sont considérés comme des ressources financières par les banques et qui viennent solidifier le bilan. Aujourd’hui, nous ne savons pas très bien comment la situation économique va évoluer donc il est difficile de fixer un prix à une entreprise. C’est la raison pour laquelle, nous nous mettons d’accord sur le montant d’un ticket auquel on rattache un coupon qui équivaut à la promesse de versement de revenus constants pendant toute la durée de l’emprunt. Une conversion pourra ensuite être exercée à l’aune de conditions fixées à l’avance. Ce n’est pas vraiment du prêt classique mais un outil qui est considéré quasiment comme du capital.

 

Est-ce que les entreprises ayant pris en compte les questions de développement durable seront prioritaires à celles qui auront engagé des actions dans ce sens ?

Les projets immobiliers soutenus par la Banque des Territoires présentent tous une dimension durable. En clair, si le projet ne correspond pas à nos standards en matière de haute qualité environnementale, on ne le fait pas. Nous sommes par exemple actionnaires du Futuroscope et avec les collectivités locales et le département de la Viennes, nous avons décidé d’investir dans le Futuroscope 2. Mais pour cela, nous avons exigé à ce que le parc n’émette aucune émission carbone et soit à énergie positive.  Nous avons également financé le bateau Ducasse qui est totalement électrique et non polluant, c’est la première embarcation de ce type-là.

 

Le secrétaire général du syndicat des indépendants estime que 400 000 TPE menacent de déposer le Bilan. Cela ne risque pas de porter atteinte au plan d’action cœur de ville ?

 Les entreprises du tourisme sont certes une composante majeure des TPE mais le commerce de centre-ville, qui n’est pas forcément du commerce touristique, est tout aussi important. Afin de protéger ces types d’infrastructures, nous avons mis en place avec plusieurs ministres et Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, un comité de pilotage dans lequel la Banque des Territoires a fait plusieurs propositions pour venir au secours des commerces dans les cœurs de ville.

La première proposition est de travailler sur ce qu’on appelle des foncières commerciales. Avec des collectivités locales, nous devenons ainsi propriétaire des commerces en centre-ville de façon à pouvoir baisser les baux et mieux gérer et de manière à éviter par exemple qu’un magasin sur deux ne soit fermé ou qu’ils n’aient aucun avenir quand ils s’installeront.

La deuxième proposition est de cofinancer avec les collectivités locales ce qu’on appelle des « managers de commerce centre-ville ». Ce sont des agents qui seront affiliés à la Mairie et qui pourront encadrer tous les commerces en centre-ville et régler les problèmes sous-jacents. Ils auront par exemple pour rôle d’assister un restaurateur qui souhaite augmenter la taille de sa terrasse à cause des conditions sanitaires ou encore de se pencher sur les questions de stationnement pour favoriser le développement du commerce. C’est une fonction que nous avons vu se développer avec succès dans des villes comme Reims.  C’est une réelle valeur ajoutée pour aider à la reprise du commerce et baisser le taux d’emplois menacés.

 

 Ne faudrait-t-il pas également redessiner l’action du programme territoires d’industrie ?

 Tout à fait, le projet territoire d’industrie n’était pas forcément dessiné pour favoriser le développement de l’industrie au sein de l’hexagone. Mais la crise du Covid a mis en lumière notre dépendance à la production asiatique. Nous nous sommes aperçus que l’on manquait d’autonomie pour la production de masques et de respirateurs. Il y a désormais une réelle préoccupation de se redonner les moyens d’avoir une industrie forte plus locale et que nous maîtrisons pour réduire notre dépendance. Les pouvoirs publics ont ainsi appelé à la relocalisation de certaines industries. Le ministère de l’industrie identifie actuellement les filières que l’on souhaitera rétablir. Pour le commerce, l’échéance est à très court terme mais concernant l’industrie, le projet prendra naturellement plus de temps.

 

 On ne peut pas s’aventurer à dire que cette crise ne risque pas de se reproduire, allez-vous prendre en compte ce facteur dans les enjeux du plan de modernisation de l’école ?

 La semaine dernière dans le département d’Ille-et-Vilaine, nous avons signé un prêt de plusieurs dizaines de millions d’euros destiné à des collèges qui prenaient déjà en compte les aménagements sanitaires dans leur construction.

 

 Est-ce que la crise a mis en avant l’urgence de la transformation numérique ?

 Nous sommes les premiers financeurs des réseaux de très haut débit dans les zones rurales. L’an dernier, nous avons équipé le pays d’un million de prises de fibres optiques. Nous n’opérons pas dans les grandes villes couvertes par les opérateurs comme Free, Orange et SFR.  Nous nous concentrons en effet sur les zones rurales, comme les Vosges ou la Meuse, qui ne sont pas rentables pour les opérateurs. Et là, plus que jamais, cette action démontre son utilité. Grâce à ce dispositif, le confinement a été moins pénible pour les habitants de ces régions qui ont pu accéder à des divertissements et télétravailler.  Je pense que cela va avoir pour conséquence de changer les mentalités et aussi l’habitat.

En effet, ceux qui ont télétravaillé pendant deux mois depuis leur petit appartement parisien ont peut-être reconsidéré l’idée de s’installer dans une maison plus vaste dans une ville où le foncier n’est pas cher. Avec la démocratisation du télétravail, la distance sera moins gênante du fait que les déplacements seront moins fréquents.

 

Pensez-vous que l’épidémie pourrait également accélérer le déploiement de la smart city ?

Avant la crise, beaucoup de gens dont de nombreux élus étaient sceptiques quant à l’utilisation du numérique. Mais nous connaissons désormais un grand développement de la dextérité digitale. Nous opérons aujourd’hui à travers des outils comme Skype ou Zoom et à partir de là les solutions digitales ont fait un énorme pas dans des secteurs qui étaient jusque-là délaissés par la transformation digitale comme les professions notariales. Avant la crise, un acte notarial impliquait obligatoirement la présence physique du notaire. Aujourd’hui, la législation a changé, plusieurs processus ont pu être dématérialisés comme les permis de construire et les plans d’urbanisme.  Un grand pas pour le pays où la culture administrative est réticente dans ce domaine-là.

 

 Dans une interview sur BFM, vous parliez de développer une nouvelle expérience touristique et de peut-être offrir ce service ? Comment ?

Dans tous les plans de relance en cours d’élaboration, il va y avoir une dimension durable, participative et digitale. Au niveau du tourisme, nous allons investir 1,3 milliard d’euros dans les fonds propres, mais cette somme s’inscrit également dans nos projets de transformation digitale. Nous souhaitons pouvoir agréger les données disponibles de manière à proposer une meilleure expérience touristique. Et pour cela, nous allons travailler avec tous les acteurs. Il ne s’agit pas de réinventer l’eau tiède.

En effet, Il existe déjà de nombreuses initiatives dans ce sens. Nous allons financer, par exemple dans la région de Deauville, une place de marché qui a l’ambition de réunir toutes les offres de la région. Aujourd’hui l’expérience touristique est très éclatée, si vous avez besoin d’un hôtel ou d’un musée, il faut se rendre directement sur chaque site dédié. Si l’on réussit à agréger toutes ces données afin de mieux mettre en valeur notre offre touristique, on s’y attèlera. Nous allons travailler de façon ouverte avec tous les acteurs du secteur pour redessiner le tourisme français, afin qu’il soit plus durable. Dans la région Centre Val de Loire, nous avons par exemple, à travers le fonds de solidarité mis en place, décidé de donner une prime de 20% aux projets qui avaient une démarche développement durable.

Nous nous dirigeons également vers une démarche plus participative aussi. Il est hors de question d’installer des équipements touristiques si les populations locales n’en veulent pas. Beaucoup demandent à éviter le surtourisme et nous accompagnons leurs volontés en tentant de trouver des solutions à l’effet saisonnier de certaines destinations. Cela permettrait dans un premier de temps de diminuer la pollution provoquée par l’afflux de nombreux vacanciers et pourrait aider à étendre l’influence touristique tout au long de l’année.

 

Pensez-vous que le monde de demain sera différent ? Et comment la Banque des Territoires s’inscrit-elle dans cette vision ?

 Je pense que le monde de demain sera encore plus digital. Cela pourrait paraître commun comme idée, mais il ne faut pas oublier qu’en France 6 millions de personnes se sont retrouvées dans une situation de télétravail à haute dose. Beaucoup plus dans le monde entier. Avant, La pratique était considérée comme une concession octroyée à son employé, il fallait demander la permission au manager. Aujourd’hui, ce mode de fonctionnement a révélé toute son efficacité, donc quand je dis digital c’est avec une conviction extrêmement forte.

Je pense également qu’il sera plus durable. Avec cette crise, les gens ont la perception que la nature a repris ses droits et qu’il faut plus que jamais la respecter.

Je crois enfin qu’il sera plus participatif. Au travers de cette crise, on a vu que l’on ne pouvait pas tout attendre de l’Etat. Nous avons également assisté à de nombreuses initiatives comme la création de nombreux fonds régionaux. La leçon à tirer de cette crise est qu’il faut fonctionner avec de la proximité, voilà les directions dans lesquelles je vois le monde changer.

 

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