Se dire bonjour à l’ère du coronavirus

Se dire bonjour à l’ère du coronavirus

Publié le 2 septembre 2020

Poignées de main, bises, étreintes, révérences… Partout dans le monde, le langage non verbal est utilisé pour se saluer ou marquer un départ. Un savoir-vivre antérieur au Moyen-âge que l’épidémie de coronavirus vient bouleverser. Assiste-t-on à la fin d’un mode de communication datant de l’antiquité ? Comment se dire bonjour à l’ère du coronavirus ? Eclairage.

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Introduction

Depuis la fin du confinement, la vie sociale des Français reprend petit à petit. Les terrasses ont rouvert, les parcs aussi. Un terrain propice pour les rassemblements en famille ou entre amis. Il semblerait même que pour certains, ces premiers mois d’été sont l’occasion de faire de nouvelles connaissances. « Il n’est pas rare de commencer la soirée à trois ou quatre personnes et qu’au fur et à mesure des amis d’amis nous rejoignent pour finir à quinze. Et il est vrai que même si nous essayons de faire attention. Les gestes barrières ne sont pas tout à fait respectés » confesse Elodie, 27 ans. Il suffit de marcher dans les rues parisiennes pour s’en apercevoir : accolades alcoolisées, poignées de main, tape m’en cinq … les points de contact entre individus se multiplient. Pourtant le virus circule toujours.

Le docteur Anthony S. Fauci, spécialiste des maladies infectieuses aux Etats-Unis appelle même, dans le New York Times, à la fin des poignées de main. Car ces dernières constitueraient le principal biais de propagation des germes. Un constat également établi en 2014 par Dr Mark S. Sklansy, chef de la cardiologie pédiatrique au Mattel Children’s Hospital de l’Université de Californie à Los Angeles. Ce dernier a longtemps considéré les poignées de main comme une « terrible idée d’un point de vue infectieux ». Il plaide, notamment, depuis plus de 6 ans pour l’interdiction des poignées de main dans les centres de soin.

Mais pourquoi se salue-t-on ?

Bises, étreintes, révérences… Partout dans le monde, le langage non verbal est utilisé pour se saluer ou marquer un départ. « Une salutation est une action et l’action comporte un message», déclare au New York Times, Andy Molinsky, professeur à l’International Business School de Brandeis, auteur du livre Dextérité mondiale: comment adapter son comportement à travers les cultures sans se perdre dans le processus, avant d’ajouter  « Comme lorsque vous serrez quelqu’un dans vos bras et que vous le serrez fort pour lui montrer qu’il vous a manqué. » En effet, interpréter ces gestes est un raccourci émotionnel qui permet aux humains de transmettre beaucoup tout en disant peu.  La poignée de main, par exemple, peut être utilisée pour se présenter, montrer son fair play ou donner un gage de paix, et ses premières représentations connues se trouvent dans des œuvres d’art datées du IXe siècle avant J.C.

Contact et jeu de pouvoir

« Dans l’antiquité, les poignées de main indiquaient que les parties impliquées n’étaient pas armées » a dit, au New York Times, Patti Wood, experte en langage corporel et comportement humain, auteur du livre Snap: Tirer le meilleur parti des premières impressions, langage corporel et charisme. « La sécurité est l’une des premières et principales raisons pour lesquelles nous nous saluons », a-t-elle également souligné.

Dans les temps modernes, le contact physique peut être un marqueur de statut social. Celui qui offre la poignée de main en premier et la force de la prise en main sont des jeux de pouvoir subtils » analyse Patti Wood. Ce fut d’ailleurs le cas lors de la rencontre entre Emmanuel Macron et Donald Trump en mai 2017. Leur poignée de main a notamment fait l’objet de nombreuses analyses.

Mais dans la majorité de nombreuses cultures, le contact physique témoigne plus de la profondeur d’une relation que du statut ou du pouvoir.  Une étreinte d’un membre de la famille, un baiser sur la joue d’un ami, une tape sur l’épaule d’un copain de gym … sont des moyens de renforcer la chaleur et l’intimité de nos liens sociaux.

« Ce sont des gestes qui font partie de notre répertoire et des habitudes difficiles à briser » explique, au quotidien new-yorkais, le docteur Paul Zak- qui se penche actuellement sur les neurosciences de l’économie comportementale à la Claremont Graduate University en Californie – avant de nuancer ces propos « La peur d’attraper une maladie reste toutefois un puissant facteur de motivation et le désir de protéger peut l’emporter sur son engouement pour la poignée de main. Cet environnement en mutation peut faire en sorte que ces habitudes changent rapidement »

À quoi ressembleront les contacts physiques après la pandémie ?

« Bien que certains soient désireux de reprendre un comportement habituel une fois que les mesures de distanciation sociale seront assouplies. En l’absence d’un vaccin contre le coronavirus, d’autres seront, au contraire, plus prudents lors de leurs interactions » a estimé le Docteur Molinsky avant d’ajouter « Au lieu des salutations telle qu’on les connaît, la société en adoptera de nouvelles avec des significations similaires. Je soupçonne qu’il y aura une sorte d’indulgence semi-universelle qui se produira sur la manière de saluer. En effet, si quelqu’un fait un geste qui pourrait nous paraître froid, nous serons plus à même de comprendre qu’il se protège d’une probable contagion ».

Pour Lizzie Post, co-animatrice du Awesome Etiquette Podcast « alors qu’il y a quelques mois à peine, il aurait été impoli de repousser une poignée de main lors d’une réunion d’affaires, les règles relatives aux subtilités sociales ont changé ; la sécurité remplace l’étiquette. Il y a une pandémie mondiale dont nous essayons tous de nous protéger.  Par conséquent, les actions qui nous rassurent le plus en société sont les plus appropriées en ce moment. »

Le Dr Zak prédit quant à lui que les courbettes ou les hochements de tête gagneront en popularité. Il est également possible que, pour de nombreuses personnes, la nouvelle norme ne soit pas si « anormale ».

Selon les recherches du Docteur Field, les interactions physiques semblaient déjà décliner avant la pandémie. « Bien que le contact humain présente de nombreux avantages pour la santé comme la diminution de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et du stress. Le contact interpersonnel n’était pas le seul moyen pour profiter des bienfaits du toucher.  Tant que la peau s’active par l’exercice, les étirements ou même un gommage prolongé sous la douche, les récepteurs de pression de la peau stimulés et permettent de se relaxer, de réduire la dépression ou encore l’anxiété » explique le docteur Field. Selon ce dernier, « masser sa peau ralentit le système nerveux et la production d’hormones de stress.  »

Par quel moyen compenser le manque de contact physique ?

 Pour compenser la perte de proximité induite par l’arrêt des poignées de mains, bises, étreintes… le docteur Wood, appelle à  plus d’ouverture émotionnelle. « Garder une distance de sécurité ne nous empêche pas de se renseigner sur la famille, les loisirs ou l’état de notre interlocuteur. Il est aussi possible de créer du lien verbalement ».

Pour le docteur Zak, il pourrait s’agir de ce qu’il appelle « une poignée de main verbale ». Selon ce dernier, il suffirait de remplacer cet échange par des mots tels que « je vous apprécie vraiment ». Il insiste « il faut remplacer cette composante émotionnelle qui était implicite maintenant par quelque chose d’explicite. »

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