“Nous sommes passés de 60 médiations par an à 600 par semaine. ” Pierre Pelouzet, médiateur national des entreprises

“Nous sommes passés de 60 médiations par an à 600 par semaine. ” Pierre Pelouzet, médiateur national des entreprises

Créé en 2010 suite à la crise économique, le poste de médiateur national des entreprises a une mission : maintenir la confiance entre les acteurs économiques. Un rôle qui prend une nouvelle dimension aujourd’hui, face à une nouvelle crise.

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Comment êtes-vous arrivé à ce poste de médiateur national des entreprises ?

Pierre Pelouzet : Au cours de ma carrière, je me suis beaucoup impliqué dans le monde associatif. J’ai œuvré pour améliorer les relations avec les acheteurs et les fournisseurs. C’est aussi pour cela que j’ai co-fondé Pacte PME, association qui a pour vocation de créer du dialogue entre les grandes entreprises et des PME innovantes. J’ai aussi créé l’association l’Observatoire des Achats responsables… Tout cela m’a conduit naturellement vers ce poste de médiateur des entreprises en 2012.

En quoi consiste votre rôle en tant que médiateur national des entreprises ?

 PP : Le rôle du médiateur des entreprises, c’est d’abord de travailler sur la confiance entre les acteurs économiques. Nous sommes persuadés qu’il y a un coût énorme dans la défiance. Tout le temps qu’on passe à se méfier, à se disputer, à se fâcher, à ne pas se comprendre, à ne pas s’écouter… C’est du temps que nous ne passons pas à améliorer notre fonctionnement, à développer nos ventes, à faire de meilleurs produits, à construire des nouvelles solutions et amener de l’innovation. Tout cela a un coût extraordinaire qu’on ne perçoit pas toujours, mais qui est pourtant énorme.

Cela nous amène à nous positionner sur tous les sujets qui posent problème entre deux entreprises ou entre une entreprise et les administrations, notamment dans le cadre des marchés publics. Nous nous intéressons aux retards de paiement de factures, aux ruptures brutales de contrat, aux spoliations de propriété intellectuelle, aux fins de contrats qui se passent mal, etc. Et tout cela, nous l’abordons de plusieurs manières différentes.

« Notre médiation est un service public, donc gratuit »

Tout d’abord, en offrant un service de médiation, qui est un service public, donc gratuit. Le médiateur des entreprises est nommé par le président de la République et placé auprès du ministre de l’Économie. Ce service de médiation permet aux petites entreprises, TPE, PME, artisans, qui ont une difficulté avec une plus grande entreprise ou avec une administration, de pouvoir nous saisir. Notre rôle dans ce cas de figure est d’aller chercher l’autre partie, d’amener tout le monde autour d’une table, ou du téléphone en ce moment, et d’aider à parler, à trouver un terrain d’entente, une solution. Le rôle du médiateur, c’est cela : créer un dialogue équilibré pour que les deux parties trouvent leur solution.

Qui sont ces entreprises qui font appellent à vous ?

 PP : Ce sont à 98 % des TPE, des artisans. Nous avons aussi de temps en temps des grands qui nous saisissent. Et elles sont des plus en plus nombreuses. Quand je suis arrivé en 2012, nous faisions une centaine de médiations dans l’année. Début 2020, nous en faisions entre 40 et 60 par semaine, et pendant le confinement nous en étions à 600 par semaine… Nous avons eu une véritable flambée des demandes pendant cette période. Après le déconfinement, nous sommes redescendus à environ 200 par semaine, mais cela reste très élevé.

« Les problématiques liées au paiement ont représenté la moitié de nos saisies pendant le confinement »

Quelles problématiques rencontrent toutes ces entreprises qui sont venues vers vous pendant le confinement ?

 PP : Nous étions centrés sur trois types de sujets, qui restent d’actualité aujourd’hui. Le premier : les paiements. Il y a eu énormément de problèmes à ce niveau-là que ce soit concernant un blocage, un refus ou un retard de paiement… Cette question a représenté la moitié de nos saisies. Deuxième sujet : tout ce qui tourne autour de la relation contractuelle, comme la rupture brutale de contrat. Cette problématique est beaucoup revenue, notamment dans le secteur de l’événementiel, où tout s’est arrêté du jour au lendemain. Et puis, nous avons eu un troisième volet qui a été nouveau pour nous : les baux commerciaux. Avec des difficultés à dialoguer, qui se sont généralisées pendant cette période. Les personnes préféraient jouer le rapport de force, qui est évidemment le pire des moyens surtout pendant la crise actuelle.

Vous êtes inquiet ou confiant pour les entreprises pour 2020 ?

 PP : Je suis un optimiste de nature, donc je vais dire que je suis plutôt confiant. Il y a un travail spectaculaire qui a été fait pour aider les entreprises. Nous avons réussi à les protéger pendant tout le temps du confinement avec tous les outils qui ont été mis en place : le PGE (Prêt Garanti par l’État), le décalage des charges, le chômage partiel, etc. Nous avons des entreprises qui sont encore en vie, mais avec un niveau de trésorerie qui est très bas puisqu’il n’y a pas eu de chiffre d’affaires depuis deux ou trois mois.

Mais si notre économie se remet en marche de manière solidaire, avec ceux qui ont un peu plus d’argent qui font des avances à ceux qui en ont moins, des paiements qui sont accélérés, une écoute des gros fournisseurs vis-à-vis des petits clients… Si nous arrivons à mettre tout cela en place de manière intelligente et solidaire, je pense que nous avons de bonnes chances de patienter et de tenir, jusqu’à ce que la reprise nous permette de revenir à la « normale ». Si, en revanche, nous optons pour la posture dure du « chacun pour soi », la situation pourrait devenir grave.

« Nous avions jusqu’à 600 sollicitations par semaine au plus fort de la crise. »

Qu’est-ce que cette crise a mis en lumière dans votre mission ?

 PP : Cela nous a conforté que cet outil que nous avions créé à la sortie de la crise précédente se révèle être indispensable dans la crise actuelle. Nous avions jusqu’à 600 sollicitations par semaine au plus fort de la crise. Cela signifie que nous répondons vraiment à un besoin. Nous proposons aussi d’autres outils que la médiation : comme la charte de bonne pratique dans la relation client-fournisseur, que nous avons mise en place en 2010. Cette dernière a connu une belle évolution, puisque nous avons plus de 2 000 signataires aujourd’hui. Cette charte, nous devons la respecter plus que jamais aujourd’hui. Ces outils, qui existent depuis 10 ans, sont montés en puissance entre les deux crises et trouvent toute leur utilité aujourd’hui. Encore faut-il que tout le monde s’en empare !

« J’ai proposé à Bruno Le Maire de créer un comité de crise sur les délais de paiement. »

Le poste de médiateur est né suite à la crise de 2008, devons-nous nous attendre à la création d’un autre poste de ce type suite à celle d’aujourd’hui ?

 PP : Il y a déjà des choses qui sont nées. Face au tsunami de saisines, notamment sur le sujet des retards de paiement, j’ai proposé à Bruno Le Maire de créer un comité de crise sur les délais de paiement. Avec mon collègue médiateur du crédit, nous avons mis autour de la table toutes les organisations professionnelles de l’économie des entreprises. De l’AFEP, l’association des grandes entreprises, au Medef, en passant par la CPME, U2P, les chambres de commerce et les chambres des métiers… Tous ces acteurs se réunissent toutes les semaines pour faire le point sur des situations qui nous paraissent anormales. Si l’on constate qu’une entreprise a un comportement jugé « anormal », nous intervenons auprès de son dirigeant. Nous avons déjà contacté près d’une quarantaine de sociétés. Je pense que ce comité aura vocation à être pérennisé.

 

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