« L’esprit néolibéral n’est pas compatible avec la gestion de la crise du Covid. » David Cayla, enseignant-chercheur en économie à l’université d’Angers.

« L’esprit néolibéral n’est pas compatible avec la gestion de la crise du Covid. » David Cayla, enseignant-chercheur en économie à l’université d’Angers.

Le populisme est là, que l’on s’en réjouisse ou non. L’élection américaine est venue nous rappeler que, loin d’être un bégaiement de l’Histoire, les mouvements populistes sont solidement ancrés dans le paysage politique occidental. Alors que les politiques économiques engagées, notamment dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid, peinent à convaincre, petite leçon d’épistémologie économique avec David Cayla, qui publie Populisme et néolibéralisme aux éditions De Boeck Supérieur.

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Que doit-on retenir des élections présidentielles américaines ?

David Cayla : Même si Biden a fini par l’emporter, cette élection s’apparente à une victoire du trumpisme, un mouvement qui dépasse largement la simple figure de Donald Trump. 2016 n’était pas un simple accident électoral. Trump a recuilli plus de suffrage qu’il y a 4 ans et les moteurs de sa victoire de 2016 restent inchangés. C’est dans les États dits périphériques, la région des Grands lac désindustrialisée que Trump séduit son électorat. C’est le candidat des oubliés de la politique économique américaine. À l’inverse, Biden est le candidat de l’Amérique qui gagne. Il progresse dans les Etats rouges de l’Ouest, Californie en tête.

On fait de Donald Trump un candidat populiste, quelle définition donner à ce concept ?

David Cayla : Le populisme, c’est d’abord un phénomène sociologique, qui se traduit ou non dans le vote, marqué par une opposition forte entre le peuple et les élites. Ils se retrouvent dans la parole politique, dans des mouvements sociaux, comme les gilets jaunes, dans les controverses sanitaires, avec la figure de Didier Raoult. Le populisme traduit la défiance de la population pour les institutions et les élites.

Peut-on dater l’émergence de ses mouvements ?

David Cayla : On parle souvent du Brexit comme marqueur, mais bien avant cela, c’est la crise de 2008 qui engendre ces nouveaux populismes. Que ce soit en Europe centrale avec des mouvements conservateurs, ou Europe du sud avec une ligne plus à gauche, la crise économique a nourri une défiance qui s’est focalisée contre les institutions, les partis, les journalistes, l’école… La gestion de la crise de 2008 a été déficiente, les dirigeants ont préféré sauver le système financier plutôt que de le changer. Les acteurs dominants du système économique en sont, paradoxalement, sortis renforcés.

La crise du Covid va-t-elle marquer la fin de 40 ans de politiques néolibérales ?

David Cayla : Ce n’est pas tant la crise du Covid que les populismes qui attaquent le néolibéralisme. Trump n’a pas attendu le Covid pour remettre en question le libre-échange ou le rôle des banques centrales. Le néolibéralisme vise à exclure les forces politiques du marché. Or, cette doctrine  n’est plus tenable. La crise du Covid est venue exacerber la défiance envers les élites et pousse à une rupture avec les modèles néolibéraux. Pourtant, le réflexe des gouvernements a été d’ouvrir les vannes financières pour prendre les pertes à leur charge. L’État protecteur est devenu État assureur. Cette logique reste néolibérale, car elle refuse une intervention réelle sur les marchés.

Pourtant, à moyen terme, je crois que le modèle nélibéral est condamné. Le commerce international va plus que ralentir, les faillites vont se multiplier, et la planche à billets seule ne pourra pas éviter l’effondrement.

 

En 1942, à la question : « Est-ce que le capitalisme peut survivre », Schumpeter répondait : « Non je ne crois pas », sommes-nous dans une situation identique ?

David Cayla :  Dans les années 40, il y avait cette crainte de la fin du capitalisme. L’URSS faisait alors figure de réussite économique. Ce que Schumpeter voulait mettre en avant, c’était le passage d’un capitalisme de petits entrepreneurs, avec un rapport direct à l’entreprise, à un capitalisme de corporation, constitué  de grands groupes managériaux.

La question se pose différemment aujourd’hui, le système communiste s’est effondré et plus personne ne croit réellement à une sortie du capitalisme en tant que tel. C’est plus la manière néolibérale de le gérer qui est à bout de souffle. Il faut rappeler que le capitalisme américain des années soixante se fondait sur un État très interventionniste. Il n’y a pas une forme unique de capitalisme, mais de nombreuses variantes.

En parlant de variantes, il y a un autre concept que chacun se plait à adapter, c’est celui de libéralisme, quel sens donner à ce concept ?

David Cayla : À l’origine c’est une pensée du XVIIIe siècle qui vise à l’émancipation de l’individu. Si l’objectif est clair, le chemin pour y arriver l’est moins. Adam Smith que l’on caricature souvent, pose par exemple la nécessité de l’intervention de l’État dans cette quête libératrice. Sans école, pas d’émancipation. Aujourd’hui le libéralisme est confondu à tort avec le courant néolibéral qui a dominé les dernières décennies, une forme de marché sans régulation.

Vous concluez votre livre sur la nécessité de trouver de grands projets communs pour construire ce que l’on serait tenté d’appeler un monde d’après. Quelles formes pourraient-ils prendre ?

David Cayla : Ce que j’essaie de démontrer, c’est que l’individualisme ne peut pas suffire à construire un projet de société, que les grands projets collectifs sont nécessaires pour réconcilier le sociétal et l’économique. Ils sont fondamentaux pour permettre in fine l’émancipation individuelle.

Je prends pour exemple le projet Apollo de Kennedy. Rarement un État s’est autant investi dans un projet, ce furent plus de 700 000 personnes, via l’emploi public, qui y participèrent. Le néolibéralisme n’est pas en mesure de permettre ce type d’ambitions, d’ailleurs les États-Unis n’arrivent plus à retourner sur la Lune. La puissance de l’État, via la Nasa, est aujourd’hui diluée, on fait appel à des prestataires externes, comme SpaceX, tout cela est bien plus complexe à gérer, bien plus lent.

Tout projet de ce type, ce peut être la transition écologique par exemple ou la lutte contre la pandémie, nécessite de revoir collectivement notre sens des priorités.

 

Crédit photographique : Manon Decremps

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