Burn-out, bore-out, brown-out… quand le travail se fait souffrance

Burn-out, bore-out, brown-out… quand le travail se fait souffrance

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Ces dernières années, le vocabulaire de la souffrance au travail s’est enrichi de plusieurs anglicismes. Burn-out, bore-ou et désormais brown-out… ces pathologies sont-elles un mal de notre époque ? Que révèlent-elles sur notre société ? Nous avons interrogé le Dr François Baumann, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

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Selon la dernière édition de l’étude « Santé des salariés et performance des entreprises » réalisée par Malakoff Médéric, 4 personnes sur 10 souffriraient d’un manque de reconnaissance au travail. Plus encore, 67 % des salariés considèrent leur job comme nerveusement fatigant. Guère étonnant, alors, que ces derniers manifestent de plus en plus de signes de souffrance au travail.

« Tout va plus vite aujourd’hui. Pas étonnant que le stress et la fatigue soient au rendez-vous »

« Cette souffrance a toujours existé, mais elle a pris des proportions plus importantes car les modes de travail ont changé », souligne le Dr Baumann, auteur de Brown-out, quand le travail n’a plus de sens (éd. Josette Lyon). « D’une part, le numérique est entré dans nos vies et a bouleversé nos usages. Et si on voit l’utilité de ces nouvelles techniques, on ne remarque pas toujours qu’elles sont usantes. D’autre part, tout va plus vite aujourd’hui. Pas étonnant alors que le stress et la fatigue soient au rendez-vous ». Des propos que semblent corroborer les statistiques : 42 % des salariés estiment que leur rythme de travail s’est accéléré. 24 % déclarent travailler de plus en plus souvent chez eux, en dehors des heures de travail. Et près de la moitié des cadres consultent leurs mails pros tôt le matin, tard le soir ou pendant leurs vacances.

En résultent plusieurs pathologies. Le burn-out est lié à un surmenage excessif. Le bore-out découle d’un ennui profond au travail. Quant au brown-out, il se traduit littéralement par une « baisse de courant » et correspond à une perte de sens : on ne comprend plus quel est notre rôle dans l’entreprise ; l’apparente absurdité des tâches nous donne le sentiment d’être inutile. Trois maladies aux symptômes souvent similaires, et qui ont tendance à aboutir sur un état dépressif. « Ce qui a mis en lumière ces problèmes, c’est le suicide de plusieurs employés – je pense notamment à l’affaire qui a marqué un célèbre opérateur téléphonique français… Là, on s’est rendu compte que le mal-être au travail pouvait être mortel ».

« Souvent, ce sont des symptômes physiques qui nous mettent la puce à l’oreille »

Mais alors, comment faire la différence entre une petite baisse de régime et un mal-être plus profond ? « Souvent, ce sont des symptômes physiques qui nous mettent la puce à l’oreille : malaise, fatigue, crise de larmes, maux de ventre, migraines… S’ensuivent des troubles plus psychiques, tels que des insomnies, une tristesse croissante voire une incapacité progressive à se mouvoir », explique l’expert. « En tant que médecin, je porte aussi beaucoup d’attention aux mots utilisés par mes patients. S’ils me disent qu’ils sont épuisés, ou qu’ils n’ont plus de motivation car leur travail n’a aucun sens, j’en déduis que quelque chose ne va pas ».

Une perte de sens, c’est justement ce qu’a vécu Lucas, 27 ans. Après ses études d’ingénieur, il est embauché dans un grand groupe automobile, à Berlin. Si au début il est très enthousiaste, il déchante peu à peu. « Je me suis demandé si c’était vraiment ça ma vie : être une pièce mécanique dans le circuit de conception d’une bagnole ». Des questionnements successifs qui ont commencé à engendrer un vrai ras-le-bol… « Le matin, j’allais travailler à reculons, et c’est en sortant du boulot que j’avais réellement l’impression de commencer ma vie. Là, je faisais mille choses : concerts, rencontres, expos, photos… C’est aussi une période où j’ai pris pas mal de drogue, je pense que ça me permettait de m’évader ». Jusqu’au déclic. « Un jour, j’ai discuté avec un ami qui avait eu le courage de changer complètement de carrière. Il semblait heureux, épanoui. J’ai démissionné juste après cette conversation ».

« Le meilleur des remèdes reste la prévention »

Si, pour certains, démissionner suffit pour aller mieux, pour d’autres, le travail peut être beaucoup plus long. « Le traitement d’un burn-out, d’un bore-out ou d’un brown-out passe par trois éléments. D’abord, l’arrêt de travail, qui doit être immédiat. Puis un travail sur soi par le biais d’une psychothérapie. Et éventuellement la prise de médicaments tels que des antidépresseurs », précise le Dr Baumann.

Mais comme pour beaucoup de maladies, le meilleur des remèdes reste la prévention. Celle-ci passe par une bonne hygiène de vie : « faire du sport est un excellent exutoire, qui permet de déconnecter du travail ». Pour rappel, les salariés qui déclarent faire du sport au moins une fois par semaine sont 6 % moins nombreux à s’absenter pour cause de maladie. Il faut aussi se poser les bonnes questions avant d’accepter un job – quand le choix est possible. Profitez de l’entretien d’embauche pour questionner votre futur manager sur les missions que vous aurez à mener, vos objectifs et les valeurs de l’entreprise. Une fois en poste, appliquez votre droit à la déconnexion. « Le travail prend une importance qui n’est pas dosée, dans nos vies », rappelle le spécialiste.

« L’open-space a tendance à nous faire tomber dans l’anonymat »

Côté entreprises, il faudrait replacer l’humain au centre. « L’open-space a tendance à nous faire tomber dans l’anonymat – peu compatible avec notre désir de reconnaissance. Et installer un babyfoot ou une table de ping-pong dans ses locaux ne va rien changer au problème », souligne le Dr Baumann. La solution passerait donc par un management basé sur l’écoute et la reconnaissance des employés. Avec une définition précise des objectifs et du rôle de chacun dans l’entreprise. Il faudrait également limiter les « bullshit jobs » (ou « jobs à la con »), mis en lumière par l’anthropologue américain David Graeber en 2013. « Au lieu de réduire les heures de travail pour que les gens aient plus de temps libre, on a préféré inventer des métiers qui ne servent à rien », écrivait-il alors, en visant particulièrement les secteurs du management, des ressources humaines et de la finance. Il n’y a plus qu’à espérer que les avancées technologiques seront mises à profit pour libérer les travailleurs des tâches vides de sens, au profit de missions plus valorisantes.

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