« On appelle le gouvernement à décréter l’état de catastrophe sanitaire » Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT

« On appelle le gouvernement à décréter l’état de catastrophe sanitaire » Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT

Interview de Philippe Martinez

Acteur incontournable de cette crise sanitaire et économique, Philippe Martinez livre à Widoobiz son analyse de la situation actuelle. Entretien.

Vous aimerez aussi

Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans cette crise ?

Philippe Martinez : La santé des citoyens, et donc de celles et ceux qui travaillent, est notre première préoccupation. Pourtant le gouvernement et le Medef, on l’a vu au travers des ordonnances qui ont été promulguées, profitent de cette crise pour demander beaucoup de sacrifices aux salariés à l’issue de cette période de confinement. Ce que l’on redoute vraiment, c’est que cette crise fragilise encore plus les droits des salariés notamment en matière de congés et de temps de travail.

Que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement à l’aune de la situation ?

P.M : Les mesures concernant les arrêts de travail pour garde d’enfant, l’arrêt maladie des personnes dites vulnérables et la suspension de certaines réformes comme la dégressivité des allocations-chômage, sont peut-être louables. Mais lorsqu’on se penche réellement sur les aides proposées par le gouvernement, nous nous rendons compte que les mesures profitent surtout aux plus grosses entreprises. En effet, l’accès aux cautions bancaires reste par exemple très compliqué pour les plus petites d’entre elles. Le gouvernement communique aussi beaucoup sur le chômage partiel, mais là encore ce sont les entreprises qui seront remboursées à 100%. Avant la crise, un employé qui était au chômage partiel touchait déjà 84% de son salaire. Donc, il n’y a pas de réelles nouveautés. Lorsqu’on analyse le dispositif mis en place, on se rend compte qu’il s’agit soit de suspendre des mesures que l’on a déjà condamnées avant la crise, soit d’appliquer à la place des mesures déjà existantes.

Vous appelez à une « adaptation du travail pour minimiser les risques », et à « des protections pour les travailleurs en activité », avez-vous été entendu ?

P.M : Non !  Nous avons appelé à définir des activités essentielles durant cette période, comme ça s’est fait en Espagne et en Italie. Nous avons même écrit à Emmanuel Macron une longue lettre dans ce sens (qui reste à ce jour sans réponse). Mais le gouvernement refuse toujours de définir les activités dites essentielles. Or, c’est le seul moyen pour assurer la protection des employés des métiers indispensables durant cette période. En effet, si on distribue des masques, qui se font rares, aux fabricants de rouge à lèvres, d’avions ou de voiture, il y en aura moins de disponibles pour les activités essentielles. C’est donc une mesure importante pour que les moyens de protections soient directement mis à disposition de ceux qui en ont besoin. Non seulement nous n’avons pas été entendus, mais depuis quinze jours les usines rouvrent.

Pour le cas d’Amazon par exemple, nous avons évoqué le sujet pendant plus de 4 semaines à la ministre du Travail et au président de la République. Il a fallu une action en justice pour que le gouvernement se contente d’une mise en demeure.

« Le gouvernement refuse toujours de définir les activités dites essentielles. Or, c’est le seul moyen d’assurer la protection des employés des métiers indispensables durant cette période. »

Quels autres efforts demandez-vous de la part du gouvernement ?

P. M : On a appelé le gouvernement à décréter l’état de catastrophe sanitaire, comme dans le cas des catastrophes naturelles. Ce serait le moyen de mettre à contribution les assurances. En effet, les contrats d’assurance ne couvrent pas ce genre de crise sanitaire. Il aurait fallu, et ça peut toujours se faire, que l’Etat décrète une catastrophe sanitaire de manière que les assureurs payent, par exemple, la différence des salaires. Les assurances ont fait un geste de 500 millions. Si l’on compare ce montant au chiffre d’affaires d’AXA, ce n’est pas grand-chose.

Nous avons également demandé que les 40 plus grandes entreprises françaises, qu’elles touchent des aides ou pas, ne versent pas de dividendes à leurs actionnaires. Pour l’instant, le président de la République leur demande gentiment de faire un effort, mais il n’y a pas de réelles injonctions. En revanche, ils n’ont pas tardé à établir un décret obligeant les salariés à travailler 60 heures par semaine.

 « Il faut mettre les assurances à contribution »

Plusieurs entreprises appellent à la solidarité des salariés, qu’en pensez-vous ?

P.M : Je veux bien que Bill Gates ou le patron de Twitter fassent don d’une partie de leur fortune. Avec ce qu’il leur reste, ils pourront toujours habiter dans leur château. Mais demander à un salarié qui touche 1500 euros par mois d’être solidaire, ce n’est pas la même chose. On demande beaucoup d’efforts aux salariés et proportionnellement on en demande beaucoup moins aux autres entreprises. Je ne parle pas des TPE et PME qui elles aussi pâtissent de la situation.

« L’école, la santé, les services publics, la réindustrialisation du pays, des relocalisations… c’est tout ça qu’il faut changer. »

La crise a mis en lumière le sous-équipement des élèves et enseignants ? Quels efforts demandez-vous de la part du gouvernement ?

P.M : Que ce soit à l’école ou à l’hôpital, la situation actuelle a mis en évidence les problèmes que l’on soulève depuis des années. Ça fait plus d’un an que l’hôpital est en crise. En Allemagne par exemple, il y a plus de lits de réanimation disponibles en temps de crise que la totalité des lits disponibles en France en temps normal. L’école, la santé, les services publics, la réindustrialisation du pays, des relocalisations… c’est tout ça qu’il faut changer.

Reprise de l’école le 11 mai, qu’en pensez-vous ?

P.M : C’est stupide ! J’ai cru comprendre que la grande majorité des scientifiques et médecins n’était pas d’accord. En plus, tout le monde sait que ça ne va pas pouvoir se faire en même temps. En effet, certaines classes sont surchargées et les conditions sanitaires dans un certain nombre d’établissements sont déplorables. Sans parler des enseignants qui risquent d’être exposés à la maladie. C’est de toute façon impossible, comment voulez-vous faire de la distanciation sociale dans une classe de 35 élèves ? Les transports vont aussi mettre du temps à reprendre. C’est beaucoup de communication sans réflexion derrière. D’ailleurs le gouvernement fait du rétropédalage.

Comment se déroulent les discussions avec le gouvernement ? Comment est le dialogue ?

P.M : Nous n’avons jamais autant discuté avec le gouvernement. Je me suis entretenu avec le président de la République deux fois en moins d’un mois alors qu’en trois ans de mandat, nous ne nous étions rencontrés que deux fois. C’est une bonne chose. Mais il existe une différence entre être écouté et être entendu. En effet, rien n’a bougé pour l’instant.

Pensez-vous qu’il y aura un avant et un après coronavirus ?

P.M : On va se battre pour. On travaille notamment sur un document qui mettra en évidence les enseignements de la crise. Il met malheureusement en lumière les nombreux éléments sur lesquels on avait alerté avant l’épidémie et pour lesquels le gouvernement nous riait au nez. Dans une tribune diffusée en premier sur France Info le 27 mars dernier, nous appelons avec plusieurs responsables d’organisations syndicales, associatives et environnementales à préparer le jour d’après. Pour que demain ne soit plus comme hier.

Pensez-vous donc qu’il y aura une rupture avec les politiques menées jusque-là ?

P.M : Je ne crois que ce que je vois. Après le mouvement des gilets jaunes, le président avait parlé d’un « acte 2 du quinquennat ». On ne l’a pas encore vu. L’entracte dure longtemps.

Quelles leçons souhaitez-vous que l’exécutif tire de cette crise ?

P.M : En France, on nous assène depuis plusieurs années que nous sommes privilégiés et que nous avons trop de droits. Mais on se rend finalement compte que ces acquis permettent d’atténuer une crise comme celle que l’on vit actuellement. J’aimerais que l’exécutif prenne conscience que notre système est un atout qu’il faut préserver.

0 commentaires

Laisser un commentaire