Coronavirus : pourquoi nos critiques ne sont pas satisfaisantes ?

Coronavirus : pourquoi nos critiques ne sont pas satisfaisantes ?

Publié le 17 novembre 2020

Avec la seconde vague du coronavirus et l’annonce du re-confinement, le risque de voir se détériorer nos relations humaines et sociales devient très élevé. Un second virus se propage insidieusement, la corona-critique. Prenons de la hauteur lorsque nous condamnons une décision. Ayons d’abord le courage de voir les limites de notre propre système de décision. Et par ailleurs, monsieur le Président, une autre pédagogie de la décision serait bienvenue.

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Ces travers qui nous guettent lorsque nous critiquons une décision

  • Le consensus apparent a laissé des traces : « C’est n’importe quoi cette obligation de porter les masques. Bientôt on va nous dire que le virus circule à 1 m de hauteur et nous allons tous nous mettre à quatre pattes ! On nous vole notre liberté. » Ce propos tenu par l’un des membres d’un groupe qui se retrouve dans un jardin public, peut rapidement devenir un facteur de fortes tensions.

Alors, comment discuter sereinement des décisions prises par ceux qui nous dirigent, sans se laisser emporter par le virus de la corona critique qui diffuse de la colère, du ras-le-bol et du n’importe quoi ? Nous proposons ici quelques pistes liées aux pratiques de la décision et à leurs faces cachées.

  • La tentation de l’effet de gel. Dans cette pratique plus ou moins consciente de la décision, le décideur fait d’un principe ou d’une valeur, son argument suprême, dans l’exemple cité, celui de la liberté. Il gèle le système de choix et peut conduire à regretter trop tard d’avoir laissé faire. Imaginons des vacances de Noël où les hôpitaux seraient à tel point débordés qu’il faille laisser mourir aux portes des salles de réanimation, pendant que d’autres festoient ! Qui applaudirait qui ?

 

  • Le choix satisfaisant pour satisfaire un objectif. Dans cette manière de décider, conceptualisée par le chercheur américain Herbert Simon, le choix se porte sur l’option qui satisfait le mieux l’objectif que l’on s’est fixé. Les deux indicateurs principaux qui semblent sous-tendre les décisions du gouvernement sont le taux d’occupation et la vitesse de remplissage des lits de réanimation. Ils se présentent comme une ligne rouge à ne pas franchir sous peine d’explosion du système de santé avec des conséquences imprévisibles.

 

  • Les jeux d’acteurs et leurs stratégies. L’arbitrage d’une décision procède aussi de tactiques collectives. En regardant les groupes de pression qui exercent légitimement leur influence sur le gouvernement, les intérêts convergent ou divergent d’avec les épidémiologistes ou le comité scientifique. Le dernier exemple en date montre que l’initiative d’une enseigne (Fnac-Darty) trouve une réponse face au mécontentement des libraires qui doivent fermer. Et qu’ensuite, le gouvernement s’empare de la décision de contraindre la grande distribution à faire de même.

Que proposer pour les futures annonces du gouvernement ?

 

  • Distinguer choix et décision. Choisir c’est manifester une préférence à un moment donné pour répondre à un dilemme ou pour choisir parmi des alternatives. Décider c’est ensuite mettre en œuvre un choix. Début octobre, le gouvernement se trouvait face à un dilemme : fallait-il laisser les règles sanitaires de distanciation sociale en l’état pour les prochaines semaines, ou bien ne pas laisser la situation se prolonger ? Vient alors l’alternative entre, soit ralentir la courbe de propagation du virus à certains endroits, soit inverser la courbe avec des mesures plus radicales. Le choix de ralentir la courbe a conduit au couvre-feu. Serait-il suffisant ? Deux semaines après, le même dilemme resurgit. Peut-on continuer ainsi ? Le mercredi 28 octobre le Président de la République choisit le re confinement. La décision d’entrée en vigueur commencera le vendredi.

 

  • Présenter le processus des choix à venir. Certes il est nécessaire d’exposer les options qui étaient sur la table, mais s’en servir pour justifier un choix qui est déjà fait n’implique pas suffisamment dans un futur proche. Lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron liste quatre options : 1/ ne rien faire pour viser l’immunité collective ; 2/ confiner les personnes à risques ; 3/ tester, alerter, protéger ; 4/ augmenter les capacités de réanimation. Pour finalement nous annoncer la cinquième : reconfiner. L’implication dans le processus de choix n’est apparue qu’une fois : « pour les commerces de centre-ville, je demande un très gros effort : tenons-le avec beaucoup de rigueur pendant 15 jours … ».

 

  • Monsieur le président, confiez la délibération et le choix d’une option à des tiers. Le conseil scientifique garde sa légitimité. Pourtant deux initiatives seraient bienvenues pour que les français retrouvent un peu de confiance. A l’image de la conférence citoyenne, serait-il possible de remettre à un comité de citoyens, assistés d’experts, la préparation des choix à faire ? Puis de demander ensuite à ce comité de vous présenter l’option qu’il retient et d’en parler avec eux ? De telle sorte que le décideur final, vous monsieur le Président, soyez en position de confirmer ou non un choix porté par d’autres, une préférence au regard d’une finalité que vous avez définie : « protéger les français » avec cinq priorités, les plus fragiles, les plus jeunes (moins de 65 ans), les soignants, les plus modestes et l’économie. C’est d’une certaine façon ce qui se pratique dans le monde militaire : un groupe de travail prépare la décision en l’absence du décideur, ce qui rend la délibération et le discernement plus justes.

Apaiser les tensions sur les décisions qui nous concernent suppose que chacun prenne du recul par rapport à son propre référentiel, en évitant d’avoir une seule approche de la décision. Et collectivement, embarquer des citoyens dans l’aventure des choix aiderait au discernement collectif, cette capacité à se projeter ensemble dans le futur. Plutôt qu’un consensus apparent, recherchons un consensus partagé. L’art et la manière de décider ne sont pas dissociables.

Par Laurent Falque, partenaire de l’Académie Synopia.

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