Entreprendre, une affaire de famille [4/4] : « Le temps est la matière première de l’entrepreneur familial »

Entreprendre, une affaire de famille [4/4] : « Le temps est la matière première de l’entrepreneur familial »

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Noël, très attendu par les plus petits qui attendent avec impatience leurs cadeaux, cette fête est surtout un moment de partage en famille. Une semaine avant les fêtes, nous avons donc voulu mettre la famille à l’honneur au travers de témoignages d’entrepreneurs pas comme les autres. Associés à leur soeur, à leur épouse, à un parent, ces chefs d’entreprise ont fait de l’entrepreneuriat une affaire de famille. Chacun témoigne de cette aventure humaine extrêmement enrichissante qu’ils ont pu partager avec un proche. Equilibre vie pro/vie perso, transmission, confiance et difficultés, nous entrons avec eux dans les coulisses de leur aventure entrepreneuriale et de leur vie familiale.

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Ce quatrième et dernier épisode sera consacré à la famille Saint Bris, propriétaire depuis 1865 du Clos Lucé, dernière demeure de Léonard de Vinci. François Saint Bris, président du Clos Lucé et co-fondateur du Prix Léonard de Vinci expose sa vision de l’entreprise familiale. Interview.

Pour commencer, parlez nous du Clos Lucé. Quelle est son histoire ?

François Saint Bris : Le Clos Lucé est avant tout la dernière demeure de Léonard de Vinci. C’est là qu’il a passé les trois dernières années de sa vie de 1516 jusqu’à sa mort, le 2 mai 1519. Le clos Lucé a été construit en 1471 par un maître d’hôtel du Roi qui est devenu bailli d’Amboise.

Il a été racheté assez rapidement par Charles VIII en 1490 et il est devenu une résidence de plaisance des Rois de France. On y logeait les proches de la famille royale et de la cour. Mais son hôte le plus illustre est bien Léonard de Vinci. À l’âge de 63 ans, invité par François 1er, ce dernier traverse les Alpes avec dans ses sacoches trois de ses chefs d’oeuvres, la Joconde, la Sainte Anne et le Saint Jean-Baptiste, ainsi que tous ses manuscrits.

Quel lien votre famille entretient avec ce lieu ? Comment Le Clos Lucé est-il entré dans votre famille ?

F.S.B : Le Clos Lucé a été racheté par la famille en 1865 après deux siècles de possession par la famille d’Amboise. Notre famille a racheté cet endroit pour en faire une demeure familiale, tout en préservant la mémoire de Léonard de Vinci. Presque cent ans plus tard, en 1954, nos parents ont ouvert cette maison avec l’intention de la faire connaître au plus grand nombre. Pendant deux générations, ils l’ont restaurée avec l’aide des Monuments Historiques pour lui redonner l’aspect qu’elle avait au temps où Léonard de Vinci l’habitait. Aujourd’hui, elle est ouverte au public et se visite 363 jours par an.

Que représente pour vous cet héritage ?

F.S.B : Nous sommes animés par une mission, celle de transmettre l’héritage, la mémoire et la connaissance de Léonard de Vinci, génie universel. Pour remplir à bien cette mission nous devons utiliser les moyens qui nous sont donnés : les nouvelles technologies et le digital. On peut donc dire que le château du Clos Lucé est un château pour le futur. D’ailleurs, Léonard de Vinci avait tellement anticipé le futur qu’il avait rêvé avec cinq siècles d’avance sur son temps. C’est cet esprit qui nous anime d’être très respectueux de cet héritage et de cette passion pour la transmission.

Aujourd’hui, l’utilisation du digital est aussi pour le Clos Lucé une manière de s’adresser aux jeunes générations. Depuis plusieurs années, nous avons fait le pari des technologies. Des hologrammes, des tables digitales, de la réalité virtuelle, des spectacles immersifs et des sites éducatifs permettent donc aux familles de découvrir l’univers de Léonard de Vinci. On peut alors dire que le Clos Lucé est le château des familles où on apprend l’histoire de la France et la culture générale en s’amusant.

Vous êtes également le co-fondateur du Prix Léonard de Vinci, qui récompense chaque année une entreprise familiale. Pourquoi ce prix et pourquoi promouvoir ce modèle d’entreprise ?

F.S.B : Avec l’association des Hénokiens nous nous sommes rejoint pour créer ce Prix autour d’une tradition commune. Celle de la transmission d’un patrimoine immatériel et vivant. Une tradition qui est pour nous un gage indispensable de succès et de pérennité. Le Prix sert donc à récompenser une entreprise familiale qui a fait sienne ces valeurs liées à l’histoire et la tradition, à l’entreprise et à la famille, à la mémoire et à la transmission, à la fidélité et à l’engagement, mais aussi à l’innovation et à la modernité. Ces cinq critères sont ceux qui, chaque année, nous permettent de décerner ce prix à une entreprise détenue par une famille depuis plus de trois générations. Cette année, pour la 10ème édition, nous avons récompensé une entreprise industrielle de la région Rhône-Alpes : le groupe SEB.

Comme SEB, les entreprises familiales que nous récompensons sont des passeurs. Ce Prix s’inscrit donc dans un fil de transmission du maître à l’élève. Parce que Léonard de Vinci avait lui même appris son métier d’Andrea del Verocchio. Puis à l’âge de 30 ans il s’est établi à Milan et a créé son académie de peinture. Il a alors formé à son tour une dizaine d’élèves. C’est ce savoir-faire qui se transmet de génération en génération, dans l’esprit de Léonard de Vinci, que nous récompensons avec ce Prix éponyme.

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© Château du Clos Lucé – Parc Leonardo da Vinci. Photo Léonard de Serres

Quelles sont les particularités des entreprises familiales ?

F.S.B : Toutes ces entreprises s’inscrivent dans le temps, la durée. Le temps est la matière première de l’entreprise familiale. Ces entreprises doivent utiliser, comme l’illustre SEB de façon magistrale, l’innovation comme modèle de développement et de levier de croissance. Le panel des entreprises familiales est très large, puisqu’on sait qu’en France elles représentent 82% des entreprises. Elles forment véritablement le tissu substantiel de l’économie, en France et dans le monde. Depuis toujours, ces entreprises familiales sont ancrées dans leur territoire et créent de l’emploi et de la richesse.

Les entreprises familiales ont pour particularité de transmettre des valeurs culturelles et humanistes. Elles ne sont pas uniquement dépendantes de la rentabilité immédiate, du cours de bourse ou de la satisfaction des actionnaires. Grâce au recul procuré par l’antériorité, elles bénéficient sans doute d’un avantage compétitif. Leur gouvernance est aussi la clé de voute de leur cohésion, en plus d’une mission claire et d’une stratégie partagée et mise en oeuvre de haut en bas.

Quelle est la recette du succès des entreprises familiales ?

F.S.B : Je pense que les règles de gouvernance qui régissent les entreprises familiales sont transparentes et permettent d’associer toutes les parties prenantes. Ces entreprises n’ont donc de raison d’être que si tous les collaborateurs partagent cette aventure. C’est une aventure collective et cela permet un effet d’entraînement incroyable. D’autant plus que ces entreprises ont su capitaliser un grand savoir-faire de par leur fidélité à un métier et à un bassin d’emploi. Quelque chose qu’on ne trouve plus dans les multinationales du CAC 40.

De plus,  la philosophie familiale et les valeurs culturelles et humanistes de ces entreprises se déclinent très concrètement au niveau du management. Elles mettent l’homme au coeur de l’entreprise et le client au centre des préoccupations en faisant la part belle à la formation et à la transmission. Toute ces valeurs immatérielles mais identifiables font partie de l’ADN de ces entreprises qui ont plus de 200 ans et qui ont su traverser les guerres et les épidémies. Aujourd’hui, avec le Covid, elles se révèlent agiles et résiliantes. Elles ont la capacité de rebondir. Pourquoi ? Parce que le temps est la matière première de l’entrepreneur familial. Elles n’ont pas l’horizon lissé au trimestre, elles voient loin. Et parce que le management est là pour transmettre, le profit à court terme n’a alors aucun intérêt.

Pourquoi selon vous les entreprises familiales résistent mieux aux crises ?

F.S.B : Globalement, avec toutes ces valeurs, les entreprises familiales disposent dans leur ADN d’antidotes qui les immunisent contre les crises. Car elles inscrivent leur vision, leur mission et leur stratégie dans le temps. De plus, si ces entreprises sont prudentes, cela ne signifie pas qu’elles sont réfractaires au progrès ou à l’innovation. C’est précisément parce qu’elles ont toujours su rester innovantes qu’elles continuent à chaque génération de grandir. La vision long terme des entreprises familiales impose ainsi d’intégrer l’innovation dans la réflexion stratégique et le choix des investissements.

Les entreprises familiales redeviennent d’ailleurs attractives parce que les jeunes sont aujourd’hui à la recherche de sens. Je pense donc que ces entreprises satisfont cette quête de sens parce qu’elles parviennent à transmettre quelque chose qui répond aux besoins fondamentaux des hommes et des femmes dans le monde du travail.

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François Saint Bris, Président du Clos Lucé et co-fondateur du Prix Léonard de Vinci

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